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06/02/2021

Disparition d'EPHREM, un ami de Gaston

DÉPART SOUDAIN DE MON FRÈRE ÉPHREM TIRKEY, 80 ANS


Il était tout comme moi, laïc consacré du Prado, avec cette différence que vivant principalement en milieu catholique, on l’appelait « BROTHER, FRÈRE ». Et il y tenait. Éphrem est né en Odisha, l’Etat au sud d’Howrah, il y a à peu près 80 ans (les dates de naissance sont incertaines dans ces ethnies…) Sa famille très appauvrie de la tribu aborigène des Oraon vivait dans les montagnes. Grace aux ‘Frères Missionnaires Franciscains’ (ordre indien) où il est entré à 20 ans, il a pu faire l’université. Puis il a été nommé dans différents collèges comme professeur d’anglais, voire comme proviseur et même supérieur. « Ma vocation première ayant toujours été les pauvres, j’ai eu pas mal de différends avec mes responsables qui m’accusaient de trop les favoriser. Et après trente ans d’hésitations, ayant rencontré à Jalpaiguri les Pères Laborde et Jonas, j’ai enfin compris que c’est avec eux que je rencontrerai les plus déshérités »
En mars 1989, il est arrivé à Calcutta, non sans difficulté, car il lui a fallu attendre la permission de Rome pour quitter les Franciscains…, une Congrégation de plein droit, alors que nous, nous ne sommes rien ! J’étais absent, travaillant dans les Sundarbans, mais gardant toujours ma pièce de Pilkhana, partagée avec Markus. François Laborde les a alors mis tous deux dans un des grands bâtiments d’HSP ou il y avait beaucoup d’activités sociales, puis l’a nommé comme proviseur d’une école d’HSP où il a
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commencé à enseigner. Mais lorsque je suis arrivé, j’étais loin d’être satisfait de les voir dans ce grand centre, et nous nous sommes installés tous trois, chez une famille hindoue très pauvre qui a accepté de nous accueillir dans deux des pièces de leur courée : on vivait dans une chambre-cuisine-dortoir et on priait dans l’autre. Éphrem a souvent fait remarquer que s’il avait commencé directement comme cela et avec moi, il ne serait jamais resté au Prado, me trouvant trop strict sur la pauvreté...et les temps de prière ! Effectivement, un jour après notre installation, alors que je revenais d’une tournée de dispensaires, j’ai été choqué de voir qu’ils avaient mis un ventilateur et qu’un jeune garçon faisait la popote. Immédiatement, je leur ai expliqué que notre vie doit être semblable aux pauvres qui n’ont ni ventilateur, ni cuisinier ! Éphrem a eu bien de la peine d’accepter, et ensuite, il m’a souvent reproché, mais en riant un peu jaune, que « Tu as rendu ma vie misérable, car jamais je n’avais envisagé une vie de ce type ! On peut aider les pauvres sans vivre comme eux ! » Mais finalement, il s’est bravement et fort bien accoutumé a cette dure vie, sa seule difficulté était d’avaler la nourriture quand c’était moi le cuisinier préparant une douteuse cuisine indienne ! Quant à Markus, au retour de ses journées harassantes de soudeur, il aurait mangé sans ciller une semelle bouillie ! Evidemment, ce nouveau type de vie à 48 ans, était pour Ephrem à des années-lumière de sa vie bourgeoise chez les franciscains, et il a eu un étonnant courage de persévérer. Il risqua même de perdre son sourire permanent alors qu’il avait toujours été surnomme : « Le frère-qui-rit ! » Mais après quelque temps, il a reconnu qu’il rigolait infiniment plus avec nous qu’avec ses franciscains ! Caractéristique de notre petite communauté qui est toujours restée ainsi, François regrettant lui-même parfois que dans ses presbytères, il était loin d’y trouver la même ambiance ! Puis, à cause de ses qualifications, il s’est vu offrir des responsabilités apostoliques (enfin c’était appelé comme cela !) dans la paroisse, et devint même président de la Conférence St Vincent de Paul.
Dans sa recherche pour alphabétiser les enfants pauvres, il réunissait quelques adivassi pour les développer. Puis, vers 1993, il fonda un petit Comité local de 7 membres, l’enregistra légalement comme ONG, et acheta un petit terrain à Bankra, en banlieue pauvre d’Howrah avec l’aide du curé de paroisse…Par chance, l’oncle du mari d’une infirmière que j’avais formée et qui s’était mariée en Suisse (Sandhya), m’écrivit pour me demander s’il pourrait aider quelqu’un. Je lui signalais l’école d’Ephrem…et depuis ce temps, il est toujours resté le donateur principale de « St François d’Assise » Sur ces entrefaites, il fit son « Engagement perpétuel au Prado le 3 septembre 93, en même temps que Markus son « temporaire », avec un évêque de passage bien connu, le nôtre étant malade. Il devint aussi bras droit du curé, tout en continuant à demeurer avec Markus dans deux misérables petites pièces au milieu des adivassis de Betor-Premnagar, (le village de l’amour) fondée par François.
En 1996, une grave crise secoua le comité de son école qui, quoique catholique, n’était pas diocésaine. Ephrem n’avait jamais voulait qu’elle dépende du Diocèse car, disait-il, très rapidement, les écoliers auraient dû payer, et les plus paumés des élèves auraient dû partir. Or, c’était à eux qu’il donnait la priorité. Evidemment, cette décision était fort mal comprise dans l’Église, mais, après une bonne explication avec l’évêque, ce dernier accepta de bon gré mes arguments, restant cependant sceptique sur son avenir. Mais un nouveau curé de paroisse estima que c’était son droit d’être président. Et accusa Ephrem d’avoir corrompu l’ancien curé. Occasion d’une désolante campagne d’accusations et contre-accusations écrites du plus bas-étage, qui parvinrent à l’évêque. Et quand des menaces d’intervention de la police se montrèrent, je dû aller voir l’archevêque qui avait décidé de renvoyer Ephrem à…Jalpaiguri, puisqu’il n’était pas du diocèse ! Il avait oublié que la profession avait été faite légalement quand il était malade. Il fouilla les archives et fut convaincu. Mais ce me fut difficile de lui expliquer qu’étant laïcs, et que l’école n’étant pas diocésaine, personne ne pouvait donner cet ordre, moi pas plus que les autres ! Mais j’avais toujours eu d’excellentes relations avec tous les évêques, et il
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accepta de reconnaitre le tort du curé qui fut transféré. Ce qui n’empêcha nullement Éphrem et ce prêtre d’avoir ensuite les meilleures relations du monde !
En 1998 enfin, Il donna sa démission du Centre d’HSP, qui était pourtant pour lui un une garantie d’avenir avec un bon salaire, pour se consacrer à cette nouvelle école, sans avenir viable et avec un simple petit salaire de professeur d’anglais. Il quitta du même coup sa petite pièce de Betor, car maintenant un prêtre ainsi que des Soeurs s’occupaient de la paroisse. Il pouvait ainsi se consacrer hors du temps professionnel, aux enfants les plus retardés et visiter leurs familles d’immigrés, souvent dans la misère la plus noire.
Depuis ce jour, cette école de langue Hindi est devenue un nom renommé dans sa banlieue. Elle arborait avec fierté la statue du Père Chevrier sur son porche central. Elle avait un comité de sept membres tous catholiques dont il a toujours été le secrétaire, avec 12 professeurs et entre 400 à 500 élèves mixtes des huit premières classes. S’y rajoutèrent progressivement, des écoles de couture, de sténo et de cours du soir pour les étudiants n’ayant pu continuer ailleurs leurs études. Les enfants du coin sont soit des fils ou filles de tireurs de rickshaws (pousse-pousse) ou de charriots. Soit des aborigènes journaliers, soit des réfugiés du Bangladesh vivotant de la vente de légumes sur les pavés, ne pouvant même pas payer les cinq roupies d’admission pour aider l’école à tourner sans aide extérieure ! D’où la répartition religieuse de ses écoliers : 60 % hindous, 20 % catholiques et 15 % musulmans, le reste étant animiste ou Sikhs. Mais cette institution est toujours demeurer un énorme souci pour Éphrem, car l’aide extérieure était alors devenue indispensable! Mais au moins plus besoin pour lui d’utiliser sa bicyclette qu’il détestait, car il vivait sur place. Il y a trouvé sa famille, des employés pauvres résidants, deux orphelins et orphelines à élever et qui ont maintenant des diplômes universitaires. La jeune fille, encore sur place, était à l’enterrement.
Il a aussi toujours été membre apprécié du Comité paroissial, malgré l’éloignement de l’église, et a organisé aidé et conseillé pour mariages et autres activités. Pendant des années, Markus le rejoignait chaque vendredi et y restait pour faire étude d’Évangile ou autres partages. Mais ils n’ont jamais rien mis par écris, tout comme le Père Jonas, les adivassis étant allergiques aux écritures, bien que souvent merveilleux pour pratiquer les Écritures ! François ayant des difficultés de dialogue avec Éphrem ne le voyait guère, mais je les rejoignais chaque dimanche, du moins tant que mes opérations ne m’en n’empêchaient pas. Mais jusqu’à ce temps de confinement, tant que je pouvais utiliser une voiture, même s’il fallait deux personnes pour m’aider à marcher, après la messe (à 45 km d’ICOD) j’allais 10 km plus loin, partager et surtout plaisanter avec Éphrem qui avait besoin de ce temps de détente absolue… Je rajoute encore qu’il était comme une plaque tournante de rencontre pour le clergé et les Soeurs de Jalpaiguri et d’ailleurs, qui y dormaient volontiers. Il était vraiment apprécié et aimé des trois paroisses d’Howrah, et j’ai eu souvent l’occasion de le vérifier, les prêtres successivement m’en parlant avec louanges…
Tous ceux qui le voyaient chaque soir arpenter lentement la terrasse supérieure de son école en récitant tout son Rosaire, se demandait bien pourquoi il n’habitait pas ce grand bâtiment vide la nuit ! Mais la réponse était à chercher dans sa fidélité à partager le plus près possible la vie des pauvres, cuisiner lui-même et dormir sur une natte. Mais avec l’âge et l’aide d’un médecin allemand, une petite résidence vit le jour, avec chapelle, chambre d’hôte et cuisine. Fort à l’étroit, mais très accueillant et plein de fleurs. Il pouvait plus facilement accueillir les gens – qui souvent y défilaient ! -, organiser ses chemins de croix du Vendredi, et réunir de petites réunions du soir familiales, ce qui était droit dans la ligne du Père Chevrier, le fondateur du Prado (Lettre 63) L’archevêque y vint plusieurs fois célébrer la fête du Prado le 10 décembre, et était toute louange pour ce frère si simple et si populaire qu’il avait longtemps mal compris.
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En 2018, Il eut une première attaque cérébrale, mais sans conséquences. Mais la deuxième de décembre 2020 l’affaiblit beaucoup. Gopa et notre comptable tinrent à aller le voir en mon nom, car je ne pouvais rompre ma situation de Quarantaine. Au téléphone, il ne pouvait parler que quelques mots que, sourdingue comme je suis, je ne pouvais comprendre. Markus faisait le lien tous les 15 jours. Et soudainement, il mourut tôt matin ce 22 janvier. Markus fut contacté, téléphona à Gopa, qui vint « rompre ma prière » (ce que jamais personne ne fait, sauf en cas de grande urgence) et réussit à me convaincre de quitter ICOD pour la première fois depuis neuf mois !Je fini par accepter, sachant que, si tout le monde avait compris mon absence aux funérailles de François Laborde, avec tant de prêtres pour l’entourer, personne ne comprendrait ici, et ce serait vu comme une négligence notoire, surtout maintenant que le Covid a presque disparu, et que la police interdisant les « plus de 60 ans de sortir en public » ne venait jamais de leur côté. Et je fus le premier à pouvoir venir embrasser le front de mon cher frère de trente ans de partage, alors qu’on le descendait de sa chambre. Puis vinrent deux soeurs du Prado dont Kripa que je connais depuis peut-être plus de 40 ans quand elle vivait entre les rails de chemin de fer ! Et enfin Markus. L’homme de la « famille » d’Éphrem me pris a part pour m’expliquer ses derniers moments. Mais il pleurait tellement, que je n’y compris guère. Markus s’est alors joint au Comité en mon nom pour organiser les funérailles le lendemain. Et tout le comité (dont maintenant un musulman) et cette famille m’ont dit unanimement : « Éphrem est nôtre, et nous payerons tout pour ses funérailles. Aucun souci pour vous » Les gens commençant à arriver, je me suis vu, la tristesse au coeur, dans l’obligation « morale » de partir, pour ne pas risquer d’infecter moi-même les 70 personnes abandonnées avec lesquelles je vis. Mais j’avais fait mon devoir de frangin, avec ce frère adivassi tout simple bien que tout différent, et avec lequel je n’ai jamais eu le moindre différend !
Ainsi dans la vie toute humble d’Ephrem, l’essentiel de notre vocation pradosienne a pu être visible et lisible: crèche, croix, charité, vie de partage avec les plus pauvres, catéchisme sans dire son nom, prières communes, avec et comme les plus petits, et enfin, « éducation des pauvres et des ignorants, liens avec la communauté catholique locale, et joie apostolique par-dessus le tout !
Le jour de son enterrement, l’archevêque m’écrivit : «Que cet humble et fidèle serviteur du Seigneur et ami des pauvres entre dans la félicité et la joie de notre Père Céleste si aimant. Les Soeurs du Prado et les gens des alentours vont le regretter longtemps. J’offrirai la sainte messe demain pour lui ! »
‘Pour lui’ ! Pour l’évêque d’un diocèse de 41 millions d’habitants, archevêque du Bengale de 94 millions de personnes, offrir une messe de lui-même pour un laïc consacré aborigène qui n’est même pas inscrit dans l’Ordo du Diocèse, est en soi, un acte de charité inouï, que de nombreux prêtres canonistes ne comprendront pas…Mais que Jésus bénira !
Et c’est là certainement en plus sa meilleur épitaphe, d’être appelé « ami des pauvres ».
Merci, Ephrem, de nous avoir rejoints malgré ta souffrance, et d’avoir su partager avec nous la joie du Christ qui est la joie même des gosses dans la misère qui nous aiment, celle que tu as retrouvé en arrivant près du Père de toute Miséricorde. Et comme nos frères et soeurs indiens aiment à dire : « Ecoutez, on entend les anges chanter les ‘Gloria’ pour t’accueillir»

10:06 Publié dans 2.2 - ICOD | Lien permanent | Commentaires (0)

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