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25/06/2012

Spectacle du matin

 

Exceptionnellement ce matin, on vient m’appeler à cinq heures. Les autres jours, je fainéante jusqu’à six heures avant de commencer la prière dans mon oratoire. Effectivement, il va y avoir spectacle. Le soleil ne s’est pas encore levé, mais le ciel rougit déjà. On m’appelle : « Vite, vite, les ‘bok’ se préparent à partir » Ce sont les milliers d’aigrettes et de hérons qui effectivement commencent à sortir de leur absolue immobilité nocturne en se frottant le corps de leurs becs et bougeant leurs ailes en poussant des espèces de pépiement qu’on ne leur entend jamais autrement. Et puis le soleil darde un de ses rayons. Une rumeur frémissante s’élève, et d’un seul coup, comme dirigé par une baguette d’orchestre, voilà qu’un nuage blanc et rose s’élève dans un ensemble presque parfait. Ce n’est pas beau, c’est grandiose, et même à vous couper le souffle. La nuée vivante s’organise en spirale qui tourne une fois - une seule fois – au dessus de l’île puis monte presque verticalement…Et l’altocumulus animé se disperse entre une dizaine de points cardinaux qui s’éloignent pour rejoindre leurs mystérieuses destinations diurnes. Le ciel est maintenant bleu azur en son centre et rose pourpre au levant, car le disque a jaillit et monte à une vitesse surprenante pour prendre sa position tropicale suspendue et nous gratifier de la première bien que faible bouffée de chaleur de la journée.

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L’air reste agréable cependant et nous fait apprécier le deuxième acte de l’opéra matinal. De nouveaux hérons survolent le ras des flots comme s’ils voulaient les inspecter. Il y en a des dizaines. Ce sont les ‘hérons-de-riz’ qui nichent à part dans la presqu’île et qui ne se mélangent jamais aux autres. Les magnifiques mâles au bec bleu et pattes rouges du temps de la pariade mènent la danse. Ils lancent leurs longs becs sur la surface pour picoter un poisson ici et là. Et parfois même, fait unique dans le monde des héronidés, ils s’élancent pour attraper au vol un poisson qui bondit hors de l’eau. Nous assistons à un spectacle rare dans le monde animal : une vision de symbiose, c'est-à-dire de coopération spontanée qui avantagera les diverses espèces mêmement. Une centaine de cormorans noirs qui ne sont pas partis avec la grande troupe, plongent et replongent à la poursuite du poisson. Champions de natation, ils peuvent poursuivre plusieurs minutes sous l’eau et à une vitesse inimaginable leurs proies qui souvent n’ont d’autres issues que de s’élancer hors de la surface. Où ils retombent dans le bec de nos hérons, tandis que sur la grève, une douzaine d’aigrettes blanches, souvent de celles malades ou blessées lors des ouragans qui restent ici durant le jour, recueillent avec apparente délectation les petits poissons qui retombent sur la grève. Moins efficaces mais tout aussi actifs, quatre petites poules d’eau sauvages s’activent en compagnie de deux mini-hérons chinois (d’adorables blongios cannelle) qui les dépassent à peine en taille et qui nichent avec elles dans les deux grands pandanus dont l’un est sis devant ma chambre.

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Comme toutes ces saynètes se passent durant le temps consacré à ma prière du matin, je n’ai jamais l’occasion de les admirer. Aussi c’est avec une grande satisfaction que je peux en faire la description ce matin, même si une partie de mes amis d’Europe se demandera bien ce que toute ces scènes ornithologiques viennent faire au milieu de tant de préoccupations de gens dans la détresse ou d’organisations de développement. Et bien, c’est simple : nos frères et soeurs bouddhistes et hindouistes nous rappellent à temps que l’homme fait partie de la nature et qu’il est temps – et même grand temps – de nous enrichir de sa beauté, de ses leçons et de la gloire que le Créateur y a mis pour que l’humanité puisse, non seulement manger ou s’enrichir, mais encore admirer et aimer. Et le glorifier. Et les chrétiens qui l’ont oublié durant des siècles se mettent eux aussi enfin à l’école de François d’Assise pour réparer l’espèce d’anesthésie spirituelle qui leur avait fait oublier la contemplation du charpentier de Nazareth devant les oiseaux du ciel, les lis des champs et les moissons dorées. Du coup, même si Marcus et Terence m’ont attendu en vain ce matin pour la prière commune, ma propre contemplation, je le sens, n’aura pas été vaine.

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