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18/04/2021

Rapport d'activité de RAGDS

Vous pourrez lire la rapport annuel de RAGDS en cliquant sur le lien ci-après.

RAGDS-rapport 2020-2021

06/02/2021

Disparition d'EPHREM, un ami de Gaston

DÉPART SOUDAIN DE MON FRÈRE ÉPHREM TIRKEY, 80 ANS


Il était tout comme moi, laïc consacré du Prado, avec cette différence que vivant principalement en milieu catholique, on l’appelait « BROTHER, FRÈRE ». Et il y tenait. Éphrem est né en Odisha, l’Etat au sud d’Howrah, il y a à peu près 80 ans (les dates de naissance sont incertaines dans ces ethnies…) Sa famille très appauvrie de la tribu aborigène des Oraon vivait dans les montagnes. Grace aux ‘Frères Missionnaires Franciscains’ (ordre indien) où il est entré à 20 ans, il a pu faire l’université. Puis il a été nommé dans différents collèges comme professeur d’anglais, voire comme proviseur et même supérieur. « Ma vocation première ayant toujours été les pauvres, j’ai eu pas mal de différends avec mes responsables qui m’accusaient de trop les favoriser. Et après trente ans d’hésitations, ayant rencontré à Jalpaiguri les Pères Laborde et Jonas, j’ai enfin compris que c’est avec eux que je rencontrerai les plus déshérités »
En mars 1989, il est arrivé à Calcutta, non sans difficulté, car il lui a fallu attendre la permission de Rome pour quitter les Franciscains…, une Congrégation de plein droit, alors que nous, nous ne sommes rien ! J’étais absent, travaillant dans les Sundarbans, mais gardant toujours ma pièce de Pilkhana, partagée avec Markus. François Laborde les a alors mis tous deux dans un des grands bâtiments d’HSP ou il y avait beaucoup d’activités sociales, puis l’a nommé comme proviseur d’une école d’HSP où il a
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commencé à enseigner. Mais lorsque je suis arrivé, j’étais loin d’être satisfait de les voir dans ce grand centre, et nous nous sommes installés tous trois, chez une famille hindoue très pauvre qui a accepté de nous accueillir dans deux des pièces de leur courée : on vivait dans une chambre-cuisine-dortoir et on priait dans l’autre. Éphrem a souvent fait remarquer que s’il avait commencé directement comme cela et avec moi, il ne serait jamais resté au Prado, me trouvant trop strict sur la pauvreté...et les temps de prière ! Effectivement, un jour après notre installation, alors que je revenais d’une tournée de dispensaires, j’ai été choqué de voir qu’ils avaient mis un ventilateur et qu’un jeune garçon faisait la popote. Immédiatement, je leur ai expliqué que notre vie doit être semblable aux pauvres qui n’ont ni ventilateur, ni cuisinier ! Éphrem a eu bien de la peine d’accepter, et ensuite, il m’a souvent reproché, mais en riant un peu jaune, que « Tu as rendu ma vie misérable, car jamais je n’avais envisagé une vie de ce type ! On peut aider les pauvres sans vivre comme eux ! » Mais finalement, il s’est bravement et fort bien accoutumé a cette dure vie, sa seule difficulté était d’avaler la nourriture quand c’était moi le cuisinier préparant une douteuse cuisine indienne ! Quant à Markus, au retour de ses journées harassantes de soudeur, il aurait mangé sans ciller une semelle bouillie ! Evidemment, ce nouveau type de vie à 48 ans, était pour Ephrem à des années-lumière de sa vie bourgeoise chez les franciscains, et il a eu un étonnant courage de persévérer. Il risqua même de perdre son sourire permanent alors qu’il avait toujours été surnomme : « Le frère-qui-rit ! » Mais après quelque temps, il a reconnu qu’il rigolait infiniment plus avec nous qu’avec ses franciscains ! Caractéristique de notre petite communauté qui est toujours restée ainsi, François regrettant lui-même parfois que dans ses presbytères, il était loin d’y trouver la même ambiance ! Puis, à cause de ses qualifications, il s’est vu offrir des responsabilités apostoliques (enfin c’était appelé comme cela !) dans la paroisse, et devint même président de la Conférence St Vincent de Paul.
Dans sa recherche pour alphabétiser les enfants pauvres, il réunissait quelques adivassi pour les développer. Puis, vers 1993, il fonda un petit Comité local de 7 membres, l’enregistra légalement comme ONG, et acheta un petit terrain à Bankra, en banlieue pauvre d’Howrah avec l’aide du curé de paroisse…Par chance, l’oncle du mari d’une infirmière que j’avais formée et qui s’était mariée en Suisse (Sandhya), m’écrivit pour me demander s’il pourrait aider quelqu’un. Je lui signalais l’école d’Ephrem…et depuis ce temps, il est toujours resté le donateur principale de « St François d’Assise » Sur ces entrefaites, il fit son « Engagement perpétuel au Prado le 3 septembre 93, en même temps que Markus son « temporaire », avec un évêque de passage bien connu, le nôtre étant malade. Il devint aussi bras droit du curé, tout en continuant à demeurer avec Markus dans deux misérables petites pièces au milieu des adivassis de Betor-Premnagar, (le village de l’amour) fondée par François.
En 1996, une grave crise secoua le comité de son école qui, quoique catholique, n’était pas diocésaine. Ephrem n’avait jamais voulait qu’elle dépende du Diocèse car, disait-il, très rapidement, les écoliers auraient dû payer, et les plus paumés des élèves auraient dû partir. Or, c’était à eux qu’il donnait la priorité. Evidemment, cette décision était fort mal comprise dans l’Église, mais, après une bonne explication avec l’évêque, ce dernier accepta de bon gré mes arguments, restant cependant sceptique sur son avenir. Mais un nouveau curé de paroisse estima que c’était son droit d’être président. Et accusa Ephrem d’avoir corrompu l’ancien curé. Occasion d’une désolante campagne d’accusations et contre-accusations écrites du plus bas-étage, qui parvinrent à l’évêque. Et quand des menaces d’intervention de la police se montrèrent, je dû aller voir l’archevêque qui avait décidé de renvoyer Ephrem à…Jalpaiguri, puisqu’il n’était pas du diocèse ! Il avait oublié que la profession avait été faite légalement quand il était malade. Il fouilla les archives et fut convaincu. Mais ce me fut difficile de lui expliquer qu’étant laïcs, et que l’école n’étant pas diocésaine, personne ne pouvait donner cet ordre, moi pas plus que les autres ! Mais j’avais toujours eu d’excellentes relations avec tous les évêques, et il
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accepta de reconnaitre le tort du curé qui fut transféré. Ce qui n’empêcha nullement Éphrem et ce prêtre d’avoir ensuite les meilleures relations du monde !
En 1998 enfin, Il donna sa démission du Centre d’HSP, qui était pourtant pour lui un une garantie d’avenir avec un bon salaire, pour se consacrer à cette nouvelle école, sans avenir viable et avec un simple petit salaire de professeur d’anglais. Il quitta du même coup sa petite pièce de Betor, car maintenant un prêtre ainsi que des Soeurs s’occupaient de la paroisse. Il pouvait ainsi se consacrer hors du temps professionnel, aux enfants les plus retardés et visiter leurs familles d’immigrés, souvent dans la misère la plus noire.
Depuis ce jour, cette école de langue Hindi est devenue un nom renommé dans sa banlieue. Elle arborait avec fierté la statue du Père Chevrier sur son porche central. Elle avait un comité de sept membres tous catholiques dont il a toujours été le secrétaire, avec 12 professeurs et entre 400 à 500 élèves mixtes des huit premières classes. S’y rajoutèrent progressivement, des écoles de couture, de sténo et de cours du soir pour les étudiants n’ayant pu continuer ailleurs leurs études. Les enfants du coin sont soit des fils ou filles de tireurs de rickshaws (pousse-pousse) ou de charriots. Soit des aborigènes journaliers, soit des réfugiés du Bangladesh vivotant de la vente de légumes sur les pavés, ne pouvant même pas payer les cinq roupies d’admission pour aider l’école à tourner sans aide extérieure ! D’où la répartition religieuse de ses écoliers : 60 % hindous, 20 % catholiques et 15 % musulmans, le reste étant animiste ou Sikhs. Mais cette institution est toujours demeurer un énorme souci pour Éphrem, car l’aide extérieure était alors devenue indispensable! Mais au moins plus besoin pour lui d’utiliser sa bicyclette qu’il détestait, car il vivait sur place. Il y a trouvé sa famille, des employés pauvres résidants, deux orphelins et orphelines à élever et qui ont maintenant des diplômes universitaires. La jeune fille, encore sur place, était à l’enterrement.
Il a aussi toujours été membre apprécié du Comité paroissial, malgré l’éloignement de l’église, et a organisé aidé et conseillé pour mariages et autres activités. Pendant des années, Markus le rejoignait chaque vendredi et y restait pour faire étude d’Évangile ou autres partages. Mais ils n’ont jamais rien mis par écris, tout comme le Père Jonas, les adivassis étant allergiques aux écritures, bien que souvent merveilleux pour pratiquer les Écritures ! François ayant des difficultés de dialogue avec Éphrem ne le voyait guère, mais je les rejoignais chaque dimanche, du moins tant que mes opérations ne m’en n’empêchaient pas. Mais jusqu’à ce temps de confinement, tant que je pouvais utiliser une voiture, même s’il fallait deux personnes pour m’aider à marcher, après la messe (à 45 km d’ICOD) j’allais 10 km plus loin, partager et surtout plaisanter avec Éphrem qui avait besoin de ce temps de détente absolue… Je rajoute encore qu’il était comme une plaque tournante de rencontre pour le clergé et les Soeurs de Jalpaiguri et d’ailleurs, qui y dormaient volontiers. Il était vraiment apprécié et aimé des trois paroisses d’Howrah, et j’ai eu souvent l’occasion de le vérifier, les prêtres successivement m’en parlant avec louanges…
Tous ceux qui le voyaient chaque soir arpenter lentement la terrasse supérieure de son école en récitant tout son Rosaire, se demandait bien pourquoi il n’habitait pas ce grand bâtiment vide la nuit ! Mais la réponse était à chercher dans sa fidélité à partager le plus près possible la vie des pauvres, cuisiner lui-même et dormir sur une natte. Mais avec l’âge et l’aide d’un médecin allemand, une petite résidence vit le jour, avec chapelle, chambre d’hôte et cuisine. Fort à l’étroit, mais très accueillant et plein de fleurs. Il pouvait plus facilement accueillir les gens – qui souvent y défilaient ! -, organiser ses chemins de croix du Vendredi, et réunir de petites réunions du soir familiales, ce qui était droit dans la ligne du Père Chevrier, le fondateur du Prado (Lettre 63) L’archevêque y vint plusieurs fois célébrer la fête du Prado le 10 décembre, et était toute louange pour ce frère si simple et si populaire qu’il avait longtemps mal compris.
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En 2018, Il eut une première attaque cérébrale, mais sans conséquences. Mais la deuxième de décembre 2020 l’affaiblit beaucoup. Gopa et notre comptable tinrent à aller le voir en mon nom, car je ne pouvais rompre ma situation de Quarantaine. Au téléphone, il ne pouvait parler que quelques mots que, sourdingue comme je suis, je ne pouvais comprendre. Markus faisait le lien tous les 15 jours. Et soudainement, il mourut tôt matin ce 22 janvier. Markus fut contacté, téléphona à Gopa, qui vint « rompre ma prière » (ce que jamais personne ne fait, sauf en cas de grande urgence) et réussit à me convaincre de quitter ICOD pour la première fois depuis neuf mois !Je fini par accepter, sachant que, si tout le monde avait compris mon absence aux funérailles de François Laborde, avec tant de prêtres pour l’entourer, personne ne comprendrait ici, et ce serait vu comme une négligence notoire, surtout maintenant que le Covid a presque disparu, et que la police interdisant les « plus de 60 ans de sortir en public » ne venait jamais de leur côté. Et je fus le premier à pouvoir venir embrasser le front de mon cher frère de trente ans de partage, alors qu’on le descendait de sa chambre. Puis vinrent deux soeurs du Prado dont Kripa que je connais depuis peut-être plus de 40 ans quand elle vivait entre les rails de chemin de fer ! Et enfin Markus. L’homme de la « famille » d’Éphrem me pris a part pour m’expliquer ses derniers moments. Mais il pleurait tellement, que je n’y compris guère. Markus s’est alors joint au Comité en mon nom pour organiser les funérailles le lendemain. Et tout le comité (dont maintenant un musulman) et cette famille m’ont dit unanimement : « Éphrem est nôtre, et nous payerons tout pour ses funérailles. Aucun souci pour vous » Les gens commençant à arriver, je me suis vu, la tristesse au coeur, dans l’obligation « morale » de partir, pour ne pas risquer d’infecter moi-même les 70 personnes abandonnées avec lesquelles je vis. Mais j’avais fait mon devoir de frangin, avec ce frère adivassi tout simple bien que tout différent, et avec lequel je n’ai jamais eu le moindre différend !
Ainsi dans la vie toute humble d’Ephrem, l’essentiel de notre vocation pradosienne a pu être visible et lisible: crèche, croix, charité, vie de partage avec les plus pauvres, catéchisme sans dire son nom, prières communes, avec et comme les plus petits, et enfin, « éducation des pauvres et des ignorants, liens avec la communauté catholique locale, et joie apostolique par-dessus le tout !
Le jour de son enterrement, l’archevêque m’écrivit : «Que cet humble et fidèle serviteur du Seigneur et ami des pauvres entre dans la félicité et la joie de notre Père Céleste si aimant. Les Soeurs du Prado et les gens des alentours vont le regretter longtemps. J’offrirai la sainte messe demain pour lui ! »
‘Pour lui’ ! Pour l’évêque d’un diocèse de 41 millions d’habitants, archevêque du Bengale de 94 millions de personnes, offrir une messe de lui-même pour un laïc consacré aborigène qui n’est même pas inscrit dans l’Ordo du Diocèse, est en soi, un acte de charité inouï, que de nombreux prêtres canonistes ne comprendront pas…Mais que Jésus bénira !
Et c’est là certainement en plus sa meilleur épitaphe, d’être appelé « ami des pauvres ».
Merci, Ephrem, de nous avoir rejoints malgré ta souffrance, et d’avoir su partager avec nous la joie du Christ qui est la joie même des gosses dans la misère qui nous aiment, celle que tu as retrouvé en arrivant près du Père de toute Miséricorde. Et comme nos frères et soeurs indiens aiment à dire : « Ecoutez, on entend les anges chanter les ‘Gloria’ pour t’accueillir»

10:06 Publié dans 2.2 - ICOD | Lien permanent | Commentaires (0)

Hommage au Père LABORDE

Dans sa dernière chronique Gaston évoque longuement le Père LABORDE qui fut à l'origine de SEVA SANGH SAMITI. Nous publions ici son texte.

Depuis 50 ans que je le connais en Inde, j’ai l’impression très nette que lorsque Jésus a appelé Pierre et les autres à le suivre en leur promettant cette vocation, le Père François Laborde était avec eux. Et mieux encore, qu’il fut un des premiers à « jeter son filet, haut et large » ! Je ne sais, mais en tous cas, il en donnait l’impression, par son enthousiasme à se déclarer ‘missionnaire’ et à suivre Jésus-Christ le plus près possible et jusqu’au bout. Son modèle était d’ailleurs le Bienheureux Antoine Chevrier, fondateur du Prado au XIXe siècle à Lyon, qu’un écrivain catholique a appelé « le François d’Assise de l’ère industrielle » Un autre écrivain du XXe a dit du P. Laborde qu’il était « un espèce de St François d’Assise du Bengale » Il n’est pas dans mes intentions d’en décrire la vie, car ne le connaissent parmi vous que ceux et celles qui sont venus à Kolkata, ou qui l’ont suivis à travers ses activités sociales à ‘Howrah South Point’ (HSP) De plus, étant laïc consacré du Prado, vous m’excuserez de ne pas utiliser le titre de « Père », car il est mon frère. Je veux simplement essayer de vous donner quelques aperçus rapides de certains épisodes marquants de sa longue et riche vie que peu connaissent, la presse internationale ayant consacré plusieurs articles plus pertinents que le mien à son sujet.
Il avait déjà 45 ans, quand je suis arrivé en 1972 au slum de Pikhana (Howrah-Calcutta) sacoche de voyage en bandoulière, et à pied derrière un rickshaw (pousse-pousse) On m’a conduit à lui. Il était là, béret basque sur la tête, noyé au milieu d’une foule bigarrée. Je lui ai sauté au cou en lui disant : « Salut François, quel plaisir de te voir ! » Il s’est retourné, plutôt interloqué et m’a dit : « T’es qui, toi ? »-« Mais le Prado t’avait annoncé mon arrivée. Je suis Gaston ! » -« Ah bon, j’avais oublié ! Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ? » Ça, c’était notre François tout craché ! Quand il est en plein travail, il a horreur d’être dérangé. Mais dès qu’il le réalise, il arrête tout, organise en quelques secondes le groupe dont il s’occupait, et se déhanche pour mettre tout visiteur à l’aise, en s’occupant pleinement de lui. Alors je lui ai dit : « T’en fais pas, François, je me débrouillerai bien comme infirmier : dis-moi seulement où m’adresser. En un tournemain, il m’a alors désigné par nom deux garçons et une fille qui m’aiderait à ouvrir un dispensaire, et envoyé quelqu’un pour leur indiquer qu’un local devait être prêt le lendemain avec les caisses de médicaments offerts par Mère Teresa. « Tu pourras ainsi démarrer à huit heures, Ce ne sera pas facile, mais tu verras, tout ira bien. En attendant, prends un thé et patiente un peu, et tu rencontreras Lucy Didi. Elle te fera connaitre le coin. Tu peux lui faire toute confiance, elle te trouvera
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même une piaule dans le slum, puisque tu tiens tant à y vivre…Excuses-moi, mais on m’attend en haut » J’ai ainsi expérimenté la vérité du dicton : « Quand un missionnaire arrive dans un nouvel endroit, il y a toujours le Saint-Esprit qui l’attend ! »
Et voici un nouveau projet en marche, montrant l’efficacité de François à prendre des décisions rapides et adéquates, par des intermédiaires chrétiens, hindous et musulmans qu’il avait déjà formés…en moins de sept ans de présence ici. Et puis est arrivé Lucy Didi, une jeune chrétienne de 24 ans environ, sourire aux lèvres et coeur sur la main. Elle connaissait chacune des 800 courées de ce slum de 58.000 habitants, toutes avec entre cinq et dix familles. En entendant sa description des conditions de vie des gens, leur respect et même leur amour du « Father », Lucy m’introduisait déjà dans l’organisation qu’il avait fondée, « Seva Sangh Samiti-Service d’entraide sociale »(SSS. Il y a avait déjà des services sociaux, paramédicaux, éducationnels, de développement, de nourriture, de soins aux bébés sous-nourris etc. Sans oublier 12 foyers que François avait créés pour 900 gosses de familles pauvres. À Pilkhana même, je pu visiter celui des enfants musulmans et un autre pour les grandes filles. J’appris aussi que ceux des enfants chrétiens et hindous étaient dispersés aux quatre coins du Bengale et même un au Bihâr. Tout cela en sept ans ! Comment donc décrirai-je ce qu’il a fait en 56 ans ? Deux jours plus tard, dimanche, on m’invita à visiter la consultation médicale gratuite du Docteur S.K. Sen. Cet hindou déjà âgé et au sourire paternel, était le Président de SSS, qui avec François et Mr Maher, un anglo-indien catholique, avaient démarrés l’ONG. Lucy Didi y faisait office d’assistante sociale de fait, malgré son jeune âge. À eux quatre, ils avaient obtenus des merveilles, s’entourant de jeunes ou moins jeunes compétents et dynamiques pour servir les plus pauvres, car tous, ils avaient sentis en François un « homme de Dieu » au coeur ouvert à tous. 49 ans plus tard, l’ONG ou je vis (ICOD), mettra les noms du Dr S.K.Sen et de Lucy Didi dans deux des foyers de garçons et de filles. Ils y sont toujours. Ce qui montre combien l’influence que ceux et celles que François avaient formes était durable.
HOWRAH SOUTH POINT (HSP) : Quelques années plus tard,vers 50 ans, après avoir quitté Pilkhana pour se mettre au service du Diocèse, le Cardinal de Calcutta le nomma à plusieurs postes de vicaire…où il eut quelque peine à trouver son équilibre. Car dans chaque paroisse, les plus pauvres de Pilkhana arrivaient à le retrouver, et formaient des files d’attente qui finissaient par agacer les braves curés, pensant « qu’une paroisse parallèle était en création ! » A dire vrai, François ne pouvait pas plus refuser de répondre à un pauvre qu’une mère poule à ses poussins. Et il trouvait en plus toujours le moyen de dépanner les gens en détresse. Et les déshérités des slums proches se précipitaient à la suite des premiers, ce qui dépassait les capacités de compréhension des prêtres des dites paroisses. Car s’il était nommé dans une autre, la distance n’empêcherait nul pauvre de l’atteindre. Finalement, le Cardinal eut un geste qui réorientera la vie de François à jamais. Il le nomma dans une des paroisses d’Howrah en formation, Andhul, avec une vieille église-baraque bâtie 10 ans plus tôt, mais sans desservant. François sauta sur l’occasion de démarrer enfin son idéal d’une paroisse pauvre pour les pauvres, et en plus sans faire payer les sacrements, ce qui était (et est encore) anathème aux églises indiennes ! Mais le pauvre commençait à peine son calvaire. Car une fois de plus, les démunis de tous les coins d’Howrah se précipitaient chez lui, irritant les paroissiens locaux. Car ils sentaient bien que François démarrait déjà, dans des abris de sa fabrication, un centre pour…handicapés physiques, aidé par des jeunes filles déjà formées à SSS, ce qui ne faisaient par leur affaire, car ils rêvaient d’une école anglaise pour leurs enfants !
À 55 ans, pour couronner le tout, il se fit apprenti-physiothérapeute d’une forme de massage psycho-physique qui lui permettait de s’investir au niveau même non seulement des infirmes, mais de son personnel. Je le verrai toujours, ahanant mais souriant, passant plusieurs heures sur chacun des ‘gros cas’, alors qu’il sentait bien son âge ! Mais tous n’approuvaient pas cet étrange prêtre-pince-monseigneur des pauvres ! Un certain jour de Noël, je fus témoin, après la messe de minuit, d’une distribution d’oranges pour chacun. Pas chacun des paroissiens, mais chacun des gens présents…qui
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étaient venus de bien loin, à pied parfois, C’en était trop, et durant toute le partage des fruits, les responsables reprochèrent à un François humilié, en mots non seulement désobligeants mais encore injurieux et cruels, sa présence , car ils n’avait jamais voulu d’un prêtre étranger, ils exigeaient leur école, ils l’enjoignaient d’arrêter tout travail social etc… Mais notre François continuait sans entendre, avec parfois un gentil mot pour un enfant ou une vieille connaissance ! Sur ces entrefaites, après une dénonciation, il eut droit à la visite de la police venant enquêter pour savoir pourquoi un prêtre catholique avait 13 serviteurs ! J’étais aussi là ce jour, car chaque vendredi nous partagions ensemble l’Evangile, et les policiers ne purent comprendre comment ces fameux 13 étaient en fait ceux qui faisaient tourner ses oeuvres sociales naissantes ! Il comprit alors qu’il lui fallait justifier devant la loi ce travail…et entreprit, sous l’égide du Cardinal Picachy qui l’avait toujours encouragé dans ce travail social, une petite ONG qui prit rapidement de l’ampleur sous le nom d’HSP. Pour se démarquer de la paroisse, il débuta dans un slum voisin, sans moyens spéciaux, mais avec une de grandes filles de SSS qui allait devenir non seulement la cheville ouvrière de cette nouvelle ONG, la jeune Helena, d’environ 25 ans, mais qui allait en être la presidente pendant des décennies ! Je la connaissais bien d’ailleurs, car elle avait travaillé au dispensaire, et François m’avait alors envoyé à Delhi avec trois filles qui devaient faire un stage d’un an dans une ONG qui s’occupait d’enfants ! Il ne laissait jamais rien au hasard, sauf dans sa vie qui ne dépendait que de Dieu et de Jésus-Christ ! De nombreuses années plus tard, HSP avait rayonné dans tout le Bengale, et même au-delà. Ses principaux foyers s’étendaient au pied des Himalayas et HSP était devenu une grosse ONG avec 360 travailleurs et des milliers de bénéficiaires. En 2020, HSP comptait neuf centres de réhabilitation pour handicapés, quatre écoles primaires, et cinq écoles spécialisées, à Howrah, au Nord du Bengale à Jalpaiguri et à l’ouest à Asansol. Sans compter tous les centres médicaux et sociaux, les dispensaires ambulants qui quadrillaient Howrah et Kolkata avec l’aide de médecins allemands et d’innombrables autres activités ! 15 après que François ait quitte le slum de Pilkhana, L’écrivain Dominique Lapierre a publié le fameux bestseller « La Cité de la Joie » qui n’était autre que Pilkhana, et non toute la ville de Calcutta qui se plaît à porter ce titre ! Les royalties de ce livre lui ont été d’une grande aide pour plusieurs des projets de François, ainsi que les dons de nombreuses ONG françaises, suisses et autres ! Mais François restât toujours l’inspirateur et le maitre d’oeuvre d’HSP jusqu’à la fin, tout en confiant les vraies responsabilités à tous ceux et celles qu’il avait formés et qui étaient devenus au fil des temps d’authentiques et efficaces travailleurs sociaux.
Pendant 17 ans, il allait rester curé d’Andhul, tout en faisant ses va et vient entre ses différents centres, mais faisant surtout confiance aux laïcs, la plupart du temps fort jeunes. Mais cela n’était qu’une petite partie de ses activités.
Sur les rails de chemins de fer de la gare d’Howrah, à quelques km de la plus grande gare continentale d’Asie, s’étalaient, ou plutôt s’agglutinaient des milliers de cahutes (on ne pouvait même pas parler de huttes) habitées par des communautés autochtones d’aborigènes (appelées adivassis, mais de plusieurs tribus et langues) ne parlant pas le Bengali, mais comprenant l’Hindi. La plupart étaient des immigrés Oraon du Bihâr, souvent chrétiens (bien que pas tous) chassés par la misère et à la recherche d’un travail. François n’eut de cesse qu’il ne leur construise une centaine de petits logements à l’aide d’ONG principalement françaises. Il les regroupa ainsi sur un terrain acheté légalement, mais au milieu d’une population bengalie plutôt hindoue, et ma foi, assez hostile à ces ‘noirs’ à la peau si foncées ! La Communauté d’aborigènes de Betor Premnagar était née ! Imperturbable, François y construisit une église, et forma des jeunes avec HSP pour du travail social. Il me demanda même d’ouvrir un dispensaire de nuit, après leur travail que Sukeshi organisa. Un jour, il m’invita à visiter une de ces masures sur les rails. L’entrée était si basse qu’il fallait ramper. Mais François m’y avait précédé…et à pieds nus, comme le demande l’usage au Bengale pour entrer dans un logement ! Il me présenta alors à un jeune gars qui n’avait pas 14 ans, en me demandant si j’acceptais de le prendre comme…frère ! Ce gosse était sympa et enthousiaste à souhait, mais était vraiment trop jeune. En fait, il me rejoindra
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après quatre ans pour devenir mon premier frère, Markus, laïc consacré du Prado comme moi. Il a maintenant près de 55 ans et ne veut entendre parler que de nécessiteux ! Dans d’autre huttes, puis après deux ans dans leurs nouveaux petits logements, François avaient patiemment regroupé et formé quelques jeunes filles Oraon, leur enseignant l’Evangile chaque soir. Quand j’allais chez lui, il me demandait fréquemment de leur parler aussi de Jésus-Christ, ce que je faisais avec joie, car mes dispensaires ruraux éloignés ne touchaient que des non-chrétiens. Ce fut la base que François jeta pour démarrer un groupe de 12 Soeurs du Prado, presque toutes aborigènes qui ont actuellement essaimées en plusieurs endroits, notamment à Chennai (Madras) et au Bihâr. Elles forment je dois le dire, une communauté dynamique et remarquable dans leurs simplicité conservée et leur soif de l’Evangile ! Suivirent alors deux frères ainsi qu’un prêtre et un aspirant (à Jalpaiguri), tous adivassis.
Autour de 65 ans, au service des lépreux : De nouveaux évêques arrivèrent qui ne partageaient pas l’enthousiasme du Cardinal pour les oeuvres semi-catholiques de ce Père inclassable. Il fut de nouveau nommé en plusieurs paroisses. François faisait ce que le Père Chevrier du Prado proposait toujours : demander aux évêques de l’envoyer aux dernières paroisses du Diocèse, celles que les prêtres n’apprécient guère. C’était la solution pour éviter les jalousies passées. Et François fut nommé dans la plus lointaine paroisse en bordure du Bihâr : Shantinagar, où les Soeurs de Mère Teresa se dévouaient depuis des années en soignant les lépreux, mais sans aumônier. Il allait ainsi se reconvertir en Curé de paroisse et en soins de lépreux. Mon frère Markus le rejoignit bientôt, et c’est de première main que j’ai admiré ce que François a réalisé en quelques années dans cette mini-paroisse, tout en continuant de superviser les projets d’HSP avec lesquels il avait établi un fil rouge d’amour, le portable n’étant pas encore né, chose incompréhensibles aux jeunes d’aujourd’hui ! Il exploita une fois de plus la bonté de ses amis français, et cela lui permit de construire une église, où les chrétiens isolés des environs purent enfin avoir une messe dominicale. Il tomba certainement amoureux de cet endroit retiré et de la simplicité des aborigènes. Il décida de rester ici et de se faire enterrer au milieu des lépreux. Mais il avait alors 75 ans, l’âge où les prêtres séculiers prennent leur retraite. Il rédigea alors son testament (c’est d’ailleurs le seul qui nous reste aujourd’hui !), et par solidarité avec ses confrères prêtres séculiers locaux, il dû démissionner !
À 75 ans, retraite-prison! Sa sante étant excellente, il se vit confiné dans une jolie chambrette au quatrième étage de la maison de retraite du clergé de Kolkata, avec comme tout compagnon deux prêtres âgés et un ancien évêque…qui mourut d’ailleurs peu après. Il n’était évidemment plus question d’apostolat ou d’activités sociales ! Je l’ai rencontré régulièrement, tournant en rond comme un fauve dans une cage, et jurant qu’il ne lui serait pas possible de rester toutes sa vie là-dedans, malgré les petits soins des soeurs qui le servaient et du confort ! Les visites (à des heures trop limitées pour lui) commencèrent à se multiplier, car les pauvres de Howrah ne l’avaient pas oubliés, ni bien sûr les responsables d’HSP. Moi-même j’étais parfois sujet de suspicion, en sandales nu-pieds, ma tenue indo-musulmane et ma barbe en broussaille, surtout quand j’avouais ne pas être prêtre : « Alors que venez-vous faire ici ? » Il faut dire que malgré le règlement fort strict, François avait recommencé à sillonner Kolkata et Howrah sur sa vieille mobylette, au grand dam de l’évêque qui finit par le lui interdire: « Je ne veux pas qu’un de mes prêtres âgés roule ou saute dans des bus en cas de pluie ! Et quand il eut une petite attaque, ce fut le dernier clou sur son cercueil de retraité : il ne put plus bouger. Mais les visites continuaient. Un jour, tout illuminé, il me confia : « Ca y est, l’évêque a accepté que j’aille à Midnapur (plus de cent km) et devienne chapelain-remplaçant dans l’hôpital St Joseph. Je rencontrai peu après le l’Archevêque qui me confirma la nouvelle, mais en me disant en riant : « En fait, il s’est nommé lui-même, mais que voulez-vous que je fasse ? Je ne pouvais pas l’enchaîner ? Mais au moins là-bas, il ne pourra plus retourner à HSP ! Il est vraiment trop âgé et un accident peut survenir!...Mais l’obéissance a des limites que son âge lui permettait de transgresser, et on l’a encore vu longtemps à HSP, à l’église d’Howrah, et à ICOD en 2019 !
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De 85 ans à 93, chapelain d’un hôpital. Son dernier séjour dans de ce petit hôpital catholique de campagne (mais avec plusieurs spécialités) était l’idéal pour lui. Il y finit ses jours paisiblement, mais non sans avoir à accepter une double croix : la nouvelle attaque cérébrale du Père Jonas de Jalpaiguri qui le paralysa 100 %, et de ce fait fit tomber à l’eau l’immense espoir de François d’y relancer l’équipe du Prado avec Markus et deux prêtres qu’il avait essayé en 2018 et 19 de rétablir contre vents et marées. La deuxième croix fut l’obligation qu’il eut de remettre sa démission d’HSP, en fin 2018. Mais il vécut encore assez pour apprécier la double joie que lui offrit, et l’hospitalité fraternelle du Père Régi, fondateur de l’hôpital qui avait toujours été un des prêtres qui l’avait le mieux compris, suivie de la nouvelle qu’un prêtre français de la MEP, le Père Laurent Bissara, est arrivé pour le remplacer à HSP. Sa joie finale fur complète, celle promise par Jésus lui-même. Ce fut sa plus grande et derniere joie. À presque 94 ans, il l’avait bien mérité ! Et le dernier souhait de ce géant de l’apostolat lui fut accordé: être enterré au milieu des prêtres du Diocèse de Calcutta qu’il était venu rejoindre quelques cinquante-six ans auparavant. Conclusion que m’a susurré l’Archevêque juste avant les funérailles: « Les portes du Ciel vont s’ouvrir toutes grandes pour lui ! »
Voici donc quelques propos sur ce prêtre brûlant d’amitié fraternelle, attachant de tendresse pour les plus petits, irascible à ses heures, mais contemplatif et mystique à un haut degré. « Christ est ma vie » étaient son seul idéal, avec un sens du service des plus déshérités que seul son inconditionnel amour du Père Chevrier pouvait expliquer. Je n’ai jamais travaillé avec lui, mais nous nous sommes toujours suivis au coeur de « l’Évangile de la Compassion » du Christ, et si nous différions parfois, nous ne nous sommes jamais affrontés à cause de nos divergences. Il était prêtre et moi laïc. Et il affirmait toujours avec grande conviction : « Je suis prêtre jusqu’aux bouts des ongles » Et il savait fort bien que pour moi, cette sacralisation cléricale était issue d’une lecture des Hébreux préconciliaire, et donc attendait ma réponse. Qui ne tardait pas : « Et moi, je ne suis qu’un indien pauvre, séduit par Jésus-Christ », ce qui le faisait tiquer. Mais si nos voies étaient différentes, notre but était commun, ainsi que notre amour pour Christ. Et nous avions mûri avec persévérance en nos coeurs, une profonde communion qui ne pouvait venir que de l’Esprit Saint. En un mot, nous étions frères.